L'histoire de mon style vestimentaire est assez étrange. Evidemment, comme n'importe quel autre enfant, elle a commencé par le monopole parental. On ne se pose pas trop de questions sur ce que l'on nous fait porter, et c'est bien logique. En ce qui me concerne, on me mettait des imitations chinoises de Polo Ralph Lauren ou de Hugo Boss, car c'est "super stylé", et qu'avec ça on a la "classe". Un tee-shirt Nike nous rendait beaucoup plus crédibles aux yeux de nos parents qu'un vêtement uni, ordinaire. Dès l'enfance, beaucoup de gens ont développé une faveur envers tout ce qui émanait d'une marque reconnue. Cependant ces choses là restaient tacites, jusqu'à un certain âge.

En effet, je pense que la période du collège nous a laissé nous exprimer plus librement sur nos opinions stylistiques. Malheureusement, nos seuls degrés d'éducation dans la matière résidaient dans les conceptions ridicules que nos parents nous ont inculquées, c'est à dire que la marque fait l'intérêt du vêtement. C'est toujours un peu le cas en grandissant, comme nous le verrons. Cela explique par ailleurs le succès de Supreme en 2017...

/ Je hais d’ailleurs ceux qui supportent plus difficilement une robe de travers qu’un esprit de travers, et fondent le jugement qu’ils portent sur quelqu’un d’après sa façon de faire la révérence, son maintien, et ses bottes. /

Michel de Montaigne, Les Essais , "Sur le pédantisme".

Dans ce collège fade et dénué de recherche, je voulais par dessus tout trouver une démarcation, quelque chose qui me rendrait visuellement unique. C'était en quatrième, période où je portais un grand intérêt à la moindre chose vieille d'une centaine d'années. En me promenant au H&M local, avec ma famille, j'ai trouvé une casquette plate grise qui m'a immédiatement charmé. C'était le début d'une affirmation personnelle et de nombre de moqueries que je parvenais sans trop de mal à supporter.

Mais finissons-en avec la partie autobiographique, ça devient lassant et cela n'a pas grand intérêt.

La notion de mode fait immédiatement venir à l'esprit certaines images bien précises, entre runway, grandes marques et micro-trends sans consistance. Cependant, quelque chose qui me semble être rarement adressé est le caractère genré de ce domaine, associé à la féminité, parfois superficielle, et dénué d'intérêt ipso facto par la gent masculine. Cela est pour moi quelque chose de déplorable. En effet, je tiens pour essentielle la possibilité de pouvoir exprimer son for-intérieur par le biais d'attributs extérieurs, comme des vêtements. Nonobstant, on remarque qu'il y a un déséquilibre démotivant entre la multitude de possibilités que donne la garde-robe féminine face aux trois options laissées aux hommes, qui alternent piteusement entre Tee-shirt, polo et chemise.

Il y a selon moi un manque clair au niveau des possibilités vestimentaires masculines. Et je blâme aussi bien les préconçus genrés, qui dégoutent les hommes d'essayer du neuf, que ce monopole des marques ennuyeusement fainéantes et capitalistes qui reproduisent à la chaîne les trois mêmes coupes par vêtement. Il relève du défi de se vêtir comme on le souhaite réellement, et c'est un problème auquel je porte une attention croissante depuis quelques mois. Une standardisation massive de la société derrière l'étendard de la consommation a tué la réelle créativité vestimentaire (et si ce n'était que ça!). J'essaye alors de me constituer la garde-robe dont je rêvais à mes quinze ans, encore effrayé par les conception modernes du vêtement masculin. Aujourd'hui, c'est sans aucune honte que je pense qu'il faut chercher dans le rayon femme pour trouver des choses originales, et faire notre possible pour sortir des conventions restreignantes sous lesquelles nous avons été éduqués.

/ Où que je veuille aller, il me faut forcer quelque barrière érigée par l’usage, tant il a soigneusement barré toutes nos avenues. /

Michel de Montaigne, Les Essais , "Sur l'usage de se vêtir".

On m'arrête souvent dans la rue pour prendre une photo de moi, que cela soit consenti ou non. Par tous les saints de la terre, je ne sais trop quoi en penser. D'une part, je sens qu'on me traite comme une bête de foire, et de l'autre, je me dis que la diffusion de mon image permettra aux gens de se dire qu'un changement est possible. Nonobstant, il m'arrive aussi qu'on vienne me voir au lycée pour demander en qui je suis "déguisé". Je trouve que l'usage de ce mot fait preuve d'une certaine étroitesse d'esprit, d'autant plus que mes habits n'ont aucunement la qualité textile inexistante d'un déguisement. Une fois de plus, ça me donne envie de continuer ce projet baroque, pour montrer qu'il y a tout un potentiel vestimentaire, hérité des millénaires qui nous précèdent, que nous pouvons encore explorer.