/Je ne peins pas l’être. Je peins le passage : non un passage d’âge en autre, ou, comme dit le peuple, de sept en sept ans, mais de jour en jour, de minute en minute. Il faut accommoder mon histoire à l’heure. Je pourrai tantôt changer, non de fortune seulement, mais aussi d’intention./

Michel de Montaigne, Les Essais, "Du repentir".

Être résolu, constant et uniforme, c'est une chose bien souvent promue en philosophie. Moi-même, j'étais heureux, fut un temps, d'être aussi solide qu'un roc face aux moeurs modernes, restant de marbre devant mon propre comportement qui suscitait tant de scandale chez autrui. Descartes, que j'appréciais, était clair:

/Ma seconde maxime était d'être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais, et de ne suivre pas moins constamment les opinions les plus douteuses, lorsque je m'y serais une fois déterminé, que si elles eussent été très assurées./

René Descartes, Discours de la Méthode.

Je me voyais hermite dans le futur tant on m'avait appris à haïr le monde moderne. Et j'étais fier de dire que j'étais une "vieille âme dans un monde en perdition". J'avais écrit force poèmes sur le sujet, sur mon orgueil, sur ma superbe morale. Enfin bref. Aujourd'hui, je suis un homme nouveau, et beaucoup de choses ont contribué à me changer. Tout ce que je veux développer, dans ce blog, c'est ma crainte.


Actuellement, je suis satisfait de la personne que je suis. Je ne vais pas étaler mes fiertés, disons simplement une dernière fois que je ne suis plus la même personne qu'il y a cinq ans, et c'est bien normal. Je pense avoir commencé mon émancipation des valeurs familiales et religieuses, et j'ai hâte de voir ce changement chez mes soeurs. Ma peur, pour en revenir à elle, c'est que je tienne un discours similaire d'ici cinq ans sur l'individu que je suis maintenant. Plus précisément, une de mes plus grandes craintes, c'est d'oublier ce que je suis parvenu à devenir de moi-même, et de sombrer dans une ignardise incurable. Et si j'avais déjà un orteil dedans ? C'est déroutant. Ma meilleure amie me dit que c'est impossible. Je lui ai déjà fait part de cette question dérangeante; à savoir, "et si je devenais comme mon père?". Quelle horreur.

Il y a peu j'ai parlé à une connaissance de cette crainte, et, de manière assez surprenante, elle trouvait mon sentiment assez vain et injustifié. Ayant vécu une expérience sensiblement similaire à la mienne, je pense que je peux considérer son avis. Elle m'affirma qu'une fois l'illumination acquise, il n'y avait pas de retour en arrière possible, si ce n'est par un choix volontaire. En d'autres termes, je serais à présent pleinement responsable de mon hypothétique métamorphose en énorme beauf machiste, ce qui me rassure autant que ça m'effraie haha