/Ça a débuté comme ça. Moi, j’avais jamais rien dit. Rien. C’est Arthur Ganate qui m’a fait parler. Arthur, un étudiant, un carabin lui aussi, un camarade. On se rencontre donc place Clichy. C’était après le déjeuner. Il veut me parler. Je l’écoute. /
- Louis Ferdinand Céline, in Voyage au Bout de la Nuit
Ca vous tombe un jour comme ça là sur la tête, sans crier gare ni dire bonjour, comme un pot de fleur. J'ai vu une chère connaissance ce weekend. Elle était partie pour Paris depuis plusieurs mois déjà... Moi je l'envie quelque part ce gaillard. Je me sens comme coincé ici, moi, et j'ai bien hâte de le rejoindre... C'est qu'on est à l'étroit dans ce patelin. On marchait sur les pavés mouillés du centre haussmannien, collés sous un parapluie, quand un éclair de génie le frappa, sur la tête aussi, comme un autre type de pot de fleur, en somme...
Il se souvint de mon activité d'artiste, de mes collages et de mes poèmes. Une évidence lui vint. J'attendais cette évidence au fond de moi depuis quelques temps déjà, sans lui accorder le moindre espoir. Ce bonhomme, versé dans la culture depuis au moins sa naissance, se trouvait être, entre autres nobles professions, commissaire d'exposition. Il est facile de deviner dès lors qu'il désirait en monter une autour de mes oeuvres. Un véritable choc. Je me sentais comme décapité, et étrangement, ça faisait du bien.
Par tous les saints, j'étais sans voix quand il m'a narré avec grande précision son plan qu'il venait tout juste d'élaborer, à l'improviste, à côté de moi... Ne pas savoir quoi répondre, c'est un euphémisme, je ne savais plus comment exister. Je voyais Paris m'ouvrir ses bras. C'est une image que l'on oublie pas, ça, un peu comme une dernière vision avant de s'endormir dans un doux trépas.
Devant ce rêve qui se réalise, je sentais grandir en moi une pulsion créatrice incontrôlable. Une aubaine dont je profite encore aujourd'hui.
J'ai eu l'impression de connaître une reconnaissance que j'ai toujours poursuivie et dont on a toujours besoin en flux continu, sans quoi on se sent plat, inintéressant. J'ai toujours été excité par les grands projets comme ceux-là, semblables à ceux des surréalistes en collectif à la rue du Château. Ce ravissement intense venait toutefois accompagné de crainte. Je me souvins rapidement que des grands projets comme ça, on m'en a proposé des dizaines, et nul ne s'est concrétisé. Des dizaines de promesses non tenues, de voyages mirroités et de rythmes ternaires annulés. J'avais cette peur dans un coin de la caboche, sans que cela diminue ce ravissement.
Je demeure tout de même plein d'espoir, car j'ai le vif sentiment que mon ami ne parle pas en l'air. C'est un homme de projets. Il a récemment publié un recueil de poésie dont j'attends la livraison, il a organisé plusieurs expositions et tenu quelques conférences. Ce n'est pas un homme de rien. J'ai confiance.
Quelques semaines plus tard, cette idée d'exposition lui taraude toujours l'esprit. Cela me rend très heureux, évidemment. Il m'appelle de temps en temps pour me tenir au courant des avancées administratives et techniques. J'aimerais pouvoir contribuer à la mise sur pied de cette exposition, mais j'ai l'impression qu'il n'y a pas grand chose que je puisse faire, si ce n'est continuer de créer des oeuvres. Il y a peu, il m'a dit qu'il a parlé de mon travail pendant une soirée mondaine bien de Paris. Il a piqué l'intérêt de quelques participants, de ce qu'il m'affirme. J'espère que c'est un bon augure !