Je ne suis qu'un amas de médias consommés, revisionnés, survolés, dévorés. Et c'est bien normal. Nous dépendons tous les uns de la mélasse intellectuelle des autres.

/Les autres forment l’homme ; je le récite et en représente un particulier bien mal formé, et lequel, si j’avais à façonner de nouveau, je ferais vraiment bien autre qu’il n’est. Méshui, c’est fait./

Michel de Montaigne, Les Essais, "Du Repentir".

Plus le temps avance, plus je trouve des inspirations qui me correspondent vraiment. Les esthétiques, les visées et les processus artistiques tous différents sont tout autant de sources d'innutrition pour moi. J'y puise tant et tant de choses, pour ma poésie, pour mes collages, pour mes tirades à ma meilleure amie. Voici quelques unes de ces ondes infinies et pures, qui me gardent eveillé la nuit. Longtemps, comme Montaigne, j'ai rêvé avoir été éduqué dans des références nobles et bien différentes de celles qui m'ont passioné quand j'étais petit. Me voir épris de littérarure durant mon collège, connaître les guerres puniques sur le bout des doigts après le CM2, ça c'était le rêve, fut un temps. Dieu sait pourtant qu'aujourd'hui encore je suis maître de bien assez de temps pour pouvoir enfin m'y atteler; nonobstant, ce n'est pas vers ces affaires là que mes yeux se tournent, au plus grand desarroi de mon moi passé. Les oeuvres qui me touchent réellement ne se trouvent pas dans les canons de la 'belle culture' parisienne.

Il va sans dire qu'en ce qui concerne les inspirations visuelles, il est facile pour moi de trouver moultes sources dans le passé. Je pense qu'une liste aléatoire d'ouvrages inspirants parle mieux que des loghorrées sur le sujet, que je vais tout de même faire... après la liste.

Ces livres m'ont particulièrement marqués lors de mon collège et du début de mon lycée. Tout ce qui touchait à l'occulte, au symbolisme et à l'alchimie me passionnait, comme j'adorais l'art militaire médiéval ou plus moderne. Une aura de nostalgie émanent de ces pages, m'insuffle des remembrances plaisantes ou paisibles. Je me souviens de 2019, que je passais à chercher toutes les planches du Splendor Solis, dans le but idiot et orgueilleux de toutes les posséder sur ma clef USB et de les regarder comme si je possédais un réel exemplaire du manuscrit. Je reproduisais les positions de la Fleur de la bataille en espérant un jour faire de l'escrime médiévale. Des rêves plûtot niais de chevalerie qui me rapprochaient plus du Quichotte que du Perceval.

Par tous les saints ! Je vénère ces blocs de bois qui ont été creusés pour permettre à cette pâte de taillis séché d'arborer de si belles images. J'aimerais, au demeurant, que plus de maisons d'édition s'affairent à produire des fac-simile de ces livres, en haute qualité d'impression et sans glose commentatrice dans le corps même de l'ouvrage qui brouille l'appreciation de l'original. Que ces fatrasies interprétatives soient imprimées dans un livret tenu à part, avec des références numérotés aux planches de la source. La pensée qu'une image ait besoin d'un talus de lettres apposé à côté pour nous faire sentir quoi que ce soit me rend perplexe. Les livres d'art perdent tout leur charme à mes yeux à cause du peu de place qu'ils laissent réellement à l'art.

Prolongeant, je suis fort aise à parcourir les nombreux "artbooks" associés à mes médias visuels favoris. En l'instance, je me complais, m'embourbe et m'entorpise entre les pages de ceux des jeux-vidéos qui m'ont le plus marqué. En tête de liste, actuellement, je donne facilement Blasphemous, Fear and Hunger ou Ratchet et Clank , dont j'aime énormément les styles artistiques. Malheureusement, il n'y a pas encore d'artbook pour la franchise Fear and Hunger, même si le développeur va peut-être en faire un !!

Par moults aspects, je ne suis pas quelqu'un de bien sérieux, il faut croire. On me le reproche parfois, me demandant d'être plus professionnel et de conserver une image d'épinal de moi-même. C'est déroutant. J'observe, un peu de loin, un peu avec dédain, ces gens qui entretiennent en leur vitrine un ordre austère. Quelque part, ils me font aussi peur qu'ils m'inspirent la pitié. Je ne veux pas avoir à curer mon portrait en vue de satisfaire les acerbes exigences des cravatés pourvus de pages Wikipédia ou de comptes LinkedIn soignés.

/Quoi qu’il en soit, et quelles que soient ces inepties que sont mes «Essais», j’ai décidé de ne pas les dissimuler, pas plus que je ne le ferais d’un portrait de moi chauve et grisonnant, dans lequel le peintre aurait mis, non un visage parfait, mais le mien. Car ce sont ici mes sentiments et mes opinions : je les donne pour ce que je crois, et non pour ce qu’il faudrait croire. Je ne vise ici qu’à me montrer tel que je suis, moi qui serai peut-être différent demain, si de nouvelles choses que j’aurais apprises venaient à me changer./

Michel de Montaigne, Les Essais.

Ainsi, je veux que transparaisse en mon art tout ce qui m'a fait; que la moindre chose ne soit oubliée, pour peu qu'elle soit constitutrice de mon être. Mes inspirations triviales comme nobles restent les sources de mon existence, et les choisir, les trier dans une hiérarchie n'a aucun sens. C'est vraisemblablement se brider que cacher aux autres ses inspirations.

/On n'est pas sérieux quand on a dix-[neuf] ans./

Arthur Rimbaud

Je vois souvent des artistes indépendants se demander s'ils devraient s'efforcer à paraître plus "professionnels" dans leurs présence sur Internet. Les problématiques de la photo de profil sont soulevées ; faut-il mettre une photo de soi, de son art ou bien créer un logo propre et reconnaissable ? Je crains que cette transformation forcée des artistes en marques commercialisables ne soit caractéristique de notre siècle. Sans dire que l'Histoire de l'Art est remplie d'artistes désintéressés et authentiques, ou que les artistes contemporains doivent s'interdire de vendre leurs oeuvres, je pense qu'on devrait s'attacher à l'idée d'un art anticapitaliste dérivé du groupe surréaliste qui a bien vite été transgressée au profit de l'art 'coup de poing' qui choque, frappe les trippes et fait cracher tout le liquide des millionnaires qui blanchissent leur argent de la sorte. Evidemment, l'échelle à laquelle je parle présentement est démesurée. Revenons plutôt aux petits artistes. Ceux-là, comme tout artiste, devraient rester des individus, et ne pas chercher à s'institutionnaliser, à devenir des signatures; car leurs arts perdent tout leur sens sans contextualisation autobiographique.

/ Nous sommes ce que nous faisons de manière répétée./

Aristote