/Choisir la vie. Choisir un boulot. Choisir une carrière. Choisir une famille. Choisir une putain de télé à la con. Choisir des machines à laver, des bagnoles. Des platines laser, des ouvre-boîtes électroniques. Choisir de pourrir à l'hospice et de finir en se pissant dessus dans la misère, en réalisant qu'on fait honte aux enfants niqués d'la tête qu'on a pondu pour qu'ils prennent le relais. Choisir son avenir. Choisir la vie. J'ai choisi de pas choisir la vie. J'ai choisi autre chose. Les raisons? Y a pas d'raisons. On a pas besoin d'raisons quand on a l'héroïne. J'ai choisi de pas choisir la vie. J'ai choisi autre chose. Les raisons ? Y'a pas d'raisons. On a pas besoin d'raisons quand on a l'héroïne./

Dutch Disorder, Héroïne

            L'horreur, la fuite, l'idée cruelle, anéantissante du vide. Il faut remplir la vie de connaissances, d'activités, lucratives de préférence, de possessions, d'enfants, de choses... Tout avenir est déjà tracé par la simple peur du vide. On ne vit bien qu'une fois. Il faut faire le plus de choses possible, j'imagine. On est dans son lit, il est onze heures, on culpabilise de ne pas s'être encore levé. On est dans son lit, il est onze heures, on culpabilise d'avoir à se coucher. Je suis le premier à crier quand je n'ai rien à faire de la journée; je gaspille mon temps vous voyez ? J'ai des aspirations plus grandes que rester devant ma télé à jouer à la playstation, pas vrai ? Pas vrai ?

           Je déteste le minimalisme. Comment peut-on choisir de vivre dans un appartement infiniment reproductible, épuré, et sans la moindre bigarrure ? Je ne comprends tout simplement pas. C'est par ailleurs ce que l'on ne comprend pas que l'on déteste. Comprendre, prendre avec nous, c'est inclure dans notre manière de penser. Je ne pense pas avec le minimalisme, je pense contre lui. C'est une espèce de deuxième face de la pièce capitaliste, qui exige elle aussi une consommation, qui profite aussi aux grands lobbys, mais ce sous couvert de subversion. Le maximalisme, qui se veut d'autant plus subversif que le minimalisme est omniprésent dans la publicité, est selon moi une bonne échappatoire, mais de laquelle il est facile de glisser dans un consummérisme insensible, apathique et qui ne construit en rien l'identité.

           

            /C’est n’être nulle part que d’être partout./

Martial

           J'ai rempli ma vie de choses et d'autres; d'expériences, d'hyperfixations, de mélasse, de devoirs et de fuite de ceux-ci. Avec le recul, j'éprouve tout autant de culpabilité à avoir fait tout un tas de choses que si je n'avais rien fait. C'est vicieux, c'est trompeur; on échappe jamais au cringe. Tout nous accuse, nous rend coupable. Dès lors qu'on craint le vide, notre fuite nous inculpe : on se distrayait, on s'est perdus, on était différents pour ne pas être rien. Car comment vivre en étant rien ? J'ai couru de partout, au travail, à l'étude, dans les livres et à toutes les adresses internet. Il faut assumer maintenant, j'ai du kilométrage, de l'huile souillée dans le moteur.

            On me parle souvent du "bore out" d'après la prépa; ayant totalement lâché le suivi de cours, je ne me sens plus aussi stimulé intellectuellement qu'en Hypokhâgne par exemple. Je ne pense pas que je vais connaître ce phénomène. Quelque part, j'aurais aimé pouvoir le connaître. On verra si la fac est aussi vide qu'elle en a l'air depuis la CPGE.

            /On voit que des terres en friche, quand elles sont grasses et fertiles, foisonnent d’herbes sauvages et inutiles, et que pour les maintenir en bon état à notre usage, il faut les travailler et les ensemencer. On voit que des femmes produisent d’elles-mêmes des morceaux et des amas de chair informes, mais que pour obtenir une bonne génération naturelle, il faut les engrosser d’une semence extérieure. Il en est de même de nos esprits : si on ne les occupe pas avec quelque chose qui les bride et les contraigne, ils se jettent sans retenue par-ci, par-là, dans le terrain vague de l’imagination./

Michel de Montaigne, Essais , "De l'oisiveté"